Ils se sont engagés dans ce 18 ème Paris/Brest/Paris avec confiance et sérénité. Ils sont revenus après ce long voyage, tout aussi sereins, un peu déçus, mais encore plus forts de cette expérience qui aura été quelque peu tronquée pour Loïc et marquée du sceau du dilemme pour Bertrand.
Le cyclisme est en effet un sport à la fois individuel et collectif et Bertrand Merlet s’est rapidement trouvé confronté à un choix difficile. Ils racontent à « La Gazette ».
Bertrand MERLET & Loïc LEPAGE devant le vélodrome de St Quentin en Yvelynes
Loïc Lepage : « On avait prévu de rouler ensemble, on est à peu près du même niveau, on fait partie du même groupe le dimanche, on avait fait les brevets préparatoires ensemble ».
Ils sont donc partis ensemble, dans le 3 ème paquet à 16H 30 de Saint Quentin en Yvelines. Le groupe a avalé le 1er tronçon (140 km) à 32 km/h de moyenne. « Le départ est aussi rapide que dans les randos que l’on fait ici », reconnait Loïc. Ce sont les Allemands, les Autrichiens et les Belges qui ont imposé le train. « Ils étaient très généreux et costauds dans les relais ». Nos deux cyclos Avéens se sont contentés en ce début de parcours de rester dans les roues.
La nuit tombée, toujours à bonne allure, Loïc a commencé à ressentir une petite douleur au genou gauche. Il ne s’est pas inquiété outre mesure. Le temps était idéal, pas de pluie, pas de chaleur, presque pas de vent. Ce dernier a même été favorable sur le retour.
Un léger brouillard rasant s’est installé avec la nuit. Prudent, Bertrand a enfilé ses jambières dès le premier contrôle. Loïc a attendu 1 heure du matin pour se couvrir un peu. C’était peut-être trop tard, l’humidité et la fraîcheur nocturne avaient déjà fragilisé ses articulations, à moins que ce ne soit un manque d’échauffement dans la longue attente et les piétinements qui précèdent le départ.
Au cours de la nuit la douleur s’est amplifiée, elle touche maintenant le genou droit. Il est obligé de lever le pied à partir de Saint Méen le Grand. Le jour se lève.
Loudéac, qu’ils rallieront vers 8 heures, est encore à 50 kilomètres.
Ils arrivent ensemble à Loudéac où un groupe de supporters, la famille et des amis les attendent. Loïc ne peut cacher son inquiétude. Ils apprécient particulièrement ces soutiens. « Il n’y a de projet que collectif ! ». Le soutien de la famille et des amis est très important dans ce type d’épreuve. Ils ont dû sacrifier des week-ends et donner de leur temps, on leur doit gratitude.
Après s’être restaurés, ils ne tardent pas à repartir, car ils ont pris du retard sur leur plan de route. Bertrand s’efforce d’épauler au mieux Loïc, mais dans sa situation on ne peut pas pédaler à la place de l’autre. Ils vont rouler ensemble durant encore plus de 100 kilomètres. Au fil du temps, la douleur finit de prendre le dessus et la performance s’en ressent. Depuis la nuit ils ont dû laisser filer les groupes porteurs qui auraient pu faciliter leur progression. La moyenne tombe en dessous de 20 kilomètres par heure.
Loïc demande à Bertrand de le laisser…
C’est toujours difficile de laisser un copain, ils avaient décidé de rouler ensemble. En vélo, c’est un peu comme en mer, la solidarité à un sens et reste une valeur. Même dans les sorties du dimanche on est souvent partagé quand l’un d’entre nous est en difficulté. Faut-il jouer collectif, ou jouer individuel ? C’est un vrai dilemme, par nature difficile à résoudre, car il rompt le contrat moral passé et s’écarte du code de bonne conduite des clubs de cyclos.
Bertrand, fort de son expérience de sept Paris/Brest/Paris, savait qu’il importait de rallier Loudéac sur le chemin de retour vers 22 – 23 heures, afin de ne pas être trop ralenti par la nuit. Arriver dans cette tranche horaire, lui permettrait de prendre un bon repas et d’entamer un court sommeil réparateur, absolument nécessaire, afin de ne pas trop s’écarter du rythme naturel, sommeil / éveil, dont il a par expérience mesuré la très grande importance.
Il avait déjà près de deux heures de retard sur son tableau de marche de référence, celui de son record en 2011. Il a attendu l’Huelgoat pour décider de rouler à son rythme et ainsi laisser Loïc, seul rallier Brest où il pourra faire escale et réparer son avarie, en bon marin qu’il est !
Vouloir rouler à deux sur une telle distance, c’était prendre ce risque. Bertrand l’avait dit à « La Gazette »(*) : « Il ne faut pas grand chose pour enrayer la machine !». Ce « pas grand-chose » peut devenir grand sur une telle distance.
Bertrand pointe à Brest à 17h 09, rappelons-le après une nuit blanche et plus de 600 kilomètres. Il est alors bien déterminé à entamer le chemin du retour. La portion de 164 km entre Brest et Loudéac est une des plus difficiles avec ses bosses à répétition. Il sait ce qui l’attend, mais il est rapidement confronté à un phénomène qu’il n’avait jusqu’alors pas connu.
A la tombée de la nuit, entre Brest et Loudéac.
La nuit est tombée et il croise le gros du peloton. Plusieurs centaines, voir milliers de cyclos en groupe plus ou moins nombreux qui sur la même route mais en sens inverse, se dirigent vers Brest. Ces serpentins de lumières animées rouges et blanches au beau milieu des monts d’Arrée sont du plus bel effet. Bertrand n’aura pas le loisir d’admirer le spectacle. Durant plusieurs heures il sera aveuglé par les lampes à led, qui si elles ont l’avantage par rapport aux lampes à incandescence, de bien mieux éclairer la route, ont l’inconvénient d’aveugler ceux qui viennent en face. Il n’y a pas de feux de croisement comme sur les voitures. Fort de leur nombre, les pelotons ont même tendance à occuper toute la largeur de la route et d’encore plus éblouir.
Deux heures plus tôt le problème aurait été moindre et n’aurait pas duré si longtemps.
Il est 0H 30, quand il arrive à Loudéac. Un bon repas, un bon lit l’attendent. Il a la chance d’avoir de la famille à Loudéac, à quelques encablures du contrôle. Il dormira environ 5 heures. En 2011, il ne s’était autorisé que trois heures.
Au petit matin la motivation n’est plus la même. Il s’agit d’une randonnée sans classement, sans enjeu, si ce n’est celui de se dépasser et d’approcher ses limites. Mais pardoxalement tout cyclo porte une très grande attention à son temps, à sa moyenne, voire à son classement qu’il cherche en permanence à améliorer.
En étant à Loudéac à minuit passé, il sait qu’il ne battra pas son record cette année. « J’étais déjà parti avec un manque de sommeil, j’ai vu que je ne serai pas dans les 55 heures. Ça ne sert à rien de grappiller du temps, mais j’ai préféré dormir en me disant, on verra après. Il faut jouer la sécurité ! ».
Le lendemain il mise sur son intégration dans un bon groupe. On retrouve ici l’aspect individuel, mais aussi collectif de cette épreuve. Malheureusement il ne trouvera pas le bon groupe, c’est-à-dire un groupe dont l’allure lui aurait permis de donner tout son potentiel et de progresser plus vite.
Il passe la seconde journée de groupe en groupe, à travers la Mayenne et la Beauce, et parvient à Dreux, à 23 h 19. Il se fait tard, la fatigue est là, il hésite. Ce serait bien de pouvoir dormir un peu et de rallier Paris au petit matin frais et dispo ! Mais non, il décide d’en finir, il reste 65 kilomètres et tant pis si la nuit est maintenant bien noire, après tout on verra moins les dernières collines du Perche.
A peine est-il sorti de Dreux, que voilà un de ses éclairages qui tombe en panne. Il cherche un lampadaire pour tenter une réparation qu’il ne parviendra pas à faire. Il ne lui reste qu’une lampe annexe qui après avoir changé les piles, finit par l’éclairer un peu. Il a du coup manqué un paquet qui semblait bien rouler.
En pleine nuit avec un faible éclairage, il n’est pas prudent de rouler seul. Alors il a attendu le passage de groupes pour rallier Saint Quentin en Yvelines en bénéficiant de l’éclairage des autres. Il est 2 h 45 du matin quand il y parvient.
Il ne lui reste plus qu’à dormir…
Avec un temps très honorable de 58h 14 mn, il ne descendra pas sous la barre symbolique des 50 h, et ne battra pas son record personnel de 52h 44mn, mais peu importe, il y en aura d’autres !
Pour son premier Paris/Brest/Paris, Loïc a été frappé par le caractère cosmopolite des pelotons. « On entend parler toutes les langues et parfois la barrière linguistique rend les échanges difficiles ». Il y a de nombreux Européens, mais aussi des Asiatiques et des Américains. Les Italiens, tous en maillot bleu, ont au départ, mis une très bonne ambiance.
« Ce qui est énorme c’est le public ! ». Ils ont eu de nombreux encouragements, on leur a proposé de l’eau, on les a invité à boire le café, ils se sont même vu offrir des crêpes près du pont Albert Loupe à Brest. De quoi se entir moins seul, réconforté et aidé, surtout quand à cela on ajoute la famille et les amis à Loudéac.
Ils étaient deux cyclos Avéens cette année, mais nos deux amis pensent que le Club pourrait sans problème en aligner bien plus au départ.
Loïc : « Cette randonnée est à la portée de beaucoup au Club ! ». La préparation se fait surtout l’année précédant l’épreuve. Entre deux, les sorties organisées par le Club, permettent d’acquérir et de maintenir une condition physique de base largement suffisante. Les brevets préparatoires prennent quelques week-ends, mais cela reste gérable, même lorsque l’on travaille.
Alors voilà peut-être un nouveau défi pour 2019 : aligner au moins 5 cyclos Avéens, avec comme objectif, les moins de 50 heures. Il y a déjà deux partants, reste à en trouver trois autres ! Facile, non ?
Il faudra cependant déterminer l’option : collective ou individuelle ?
Ils pourront compter sur l’expérience et les conseils des anciens de Paris Brest Paris et aussi d’un nouvel adhérent du Club, il s’agit d’Yves JOUBIN, passionné de vélo depuis toujours, grand randonneur, cyclo-campeur. Il a trois Paris-Brest à son actif. Lors de l’édition 1991, il a bouclé l’aller-retour en seulement 48h et 02mn réalisant ainsi le 5 ème temps des 2 617 cyclos classés cette année là. Une référence de plus, pour les cyclos de Saint Avé.
Jean-Yves LE PERSON